Les transferts culturels et l’histoire culturelle de la Grèce
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doute plus immédiatement lié à une logique proprement grecque. Mais la
diaspora implique, par sa nature même, un contact ancien et permanent
avec des espaces culturels autres et donc l’enrichissement du centre par
des importations dont la diaspora a été le véhicule. Les cultures diaspo-
riques sont par définition mixtes, elles présupposent le bilinguisme. On
pense à Alexandrie, ville grecque depuis sa fondation par Alexandre au
IVe siècle et qui tant par le mythe de sa bibliothèque, par celui d’Hypatie
chère au poète Leconte de l’Isle, celui de Thaïs, chère à Anatole France, a
alimenté les imaginaires littéraires européens presque indépendamment
de la Grèce proprement dite. Si Alexandrie est le lieu de naissance d’Apol-
lonios de Rhodes, c’est aussi et surtout le lieu où naquit et vécut Constan-
tin Cavafy. Qu’un des principaux écrivains grecs de son temps n’ait fait
une première visite à Athènes qu’en 1901, à 42 ans, que ce voyage à
Athènes ait été précédé par un voyage à Paris et que les premiers vers de
Cavafy soient parus dans la revue grecque
Espéros
de Leipzig, en 1886,
montre toute l’importance à accorder au terme de diaspora. Ami proche
du romancier anglais E.M. Forster que sa première dénonciation de l’Inde
anglaise (
A passage to India
) rendit célèbre, Cavafy vivant en Alexandrie
cosmopolite doit vraisemblablement une partie de la reconnaissance de
son hellénisme au cosmopolitisme qui le caractérise, un hellénisme dia-
chronique qui préside même, selon les spécialistes, à son emploi de la
langue.
Les formes de la diaspora sont nombreuses, et Smyrne constitue un
exemple de la diaspora historique.
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Mais jusqu’à quel point peut-on
encore parler de culture diasporique pour un port qui en 1884 comptait
à côté de 40 000 Turcs, 9000 Arméniens, 15000 Juifs 30000 Grecs du
royaume et 90000 Grecs sujets ottomans, pour ne pas parler des Levan-
tins. Encore minoritaires dans les années 1830, les Grecs sont majoritaires
après 1860. Smyrne, l’une des patries possibles d’Homère, a été, on le sait,
le lieu de séjour de nombreux écrivains antiques, du médecin Galien au
sophiste Aelius Aristide. Et le XIXe siècle compte de nombreux écrivains
smyrniotes et philhellènes qui contribuent par leurs poèmes à forger une
langue littéraire (Jean Carassoutsas, Al. Photiadis, Anghélos Simiriotis).
Dès 1817 et dans les éditions augmentées Constantin Oeconomos dans
son
Étude sur Smyrne
rappelle le rôle joué dans la construction de la
18. Léon
K
ontente
, Smyrne et l’Occident de l’Antiquité au XXIe siècle
, Yve-
linédition, Paris 2008.