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Les transferts culturels et l’histoire culturelle de la Grèce

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grecque dans les travaux archéologiques et philologiques la base de la

formation néo-humaniste. En fondant un musée où les philologues pou-

vaient mettre en relation les textes anciens avec des moulages des sta-

tues de la Grèce classique, Welcker, qui fit un long voyage en Grèce,

s’efforça d’apprendre la langue parlée, dite « démotique », contribuant à

construire une Allemagne conforme au modèle athénien. Les voyages en

Grèce chez les savants les plus marquants du XIXe siècle –parmi eux il

faudrait nommer le principal esthéticien Friedrich Theodor Vischer, parti

en Grèce en 1839-1840

16

– sont à observer moins comme des témoignages

sur le pays que comme une collecte d’objets et d’impressions qui permet-

tront de construire l’Allemagne. Ce transfert culturel à deux directions

contraint évidemment à observer des déplacements. La Grèce construite

par l’Allemagne devrait être conforme à des modèles élaborés en Alle-

magne mais s’en dégage ; la Grèce de l’Île des musées ou du Walhalla

n’est pas la Grèce du Parthénon, mais l’effort d’élaborer une identité alle-

mande respectueuse des pouvoirs établis à partir de pièces d’emprunts.

Les discontinuités que semblent apporter la référence à la Grèce dans

le XIXe siècle allemand ou les importations allemandes durant le XIXe

siècle grec sont aussi bien des continuités qui se croisent un moment dans

l’histoire européenne globale.

La Grèce même moderne se développe en large partie en dehors

de ses frontières. Lorsque Coray réédite Héliodore, d’ailleurs en ayant

recours à un éditeur vénitien, c’est bien sûr pour montrer à la Grèce

qu’elle dispose de sa propre tradition romanesque et fonder la légitimité

d’une production romanesque autochtone,

17

par exemple du roman histo-

rique, mais tout cela se fait depuis Paris. C’est aussi à Paris que Séféris lit

et en partie transpose Jean Moréas et Byron, c’est-à-dire des poètes qui

ont eux-mêmes incarné une sorte d’hellénisme

extra muros

et Moréas

aurait même poursuivi en langue française une contribution à la littéra-

ture grecque.

16. Michel

E

spagne

, « Le voyage en Grèce de Friedrich Theodor Vischer »,

in : Françoise Knopper et J. Mondot (éds.),

« Voyages…Voyages… » Hommage à

Alain Ruiz,

Presses universitaires de Bordeaux, Pessac 2010, p. 267-279.

17. Anna

T

abaki

, «Adamance Coray comme critique littéraire et philologue»,

op.cit.; Ourania Polycandrioti, «Anciens et modernes. Approches théoriques du

roman grec (XIXe-XXe siècles)»,

The Historical Review / La Revue Historique,

9 (2012), σ. 161-198.