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Les transferts culturels et l’histoire culturelle de la Grèce

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comme histoire du peuple est entièrement démarquée des travaux consa-

crés par Friedrich August Wolf à la genèse des poèmes homériques. La

contribution de Fauriel au philhellénisme apparaît ainsi comme l’héritage

immédiat d’un des débats les plus brûlants de la philologie allemande

autour de 1800.

On sait, c’est sans doute la raison qui permet au nom de Fauriel

d’échapper à l’oubli, que le professeur parisien fut un ami proche et un

correspondant fidèle du romancier et poète italien Manzoni. L’Italie, au

même titre que l’Allemagne, est une étape indispensable dans le philhel-

lénisme de Fauriel. Manzoni avait fait connaître à Fauriel l’œuvre d’un

poète italien, Giovanni Berchet, qui avait rédigé un poème sur les Grecs

de la ville de Parga,

I Profughi di Parga

. Fauriel fit paraître en 1823 chez

Firmin Didot une traduction de ce vibrant plaidoyer italien en faveur des

Grecs. Dans une tension entre ses références allemandes et italiennes,

Claude Fauriel élabore et situe sa contribution majeure au philhellénisme.

Les chants grecs ont à tout le moins contribué à remettre au centre

de l’attention des productions littéraires grecques modernes. Le saint-si-

monien Gustave d’Eichthal qui a séjourné en Grèce au début des années

1830 a franchi un pas de plus en proposant de faire du grec une langue

universelle.

10

Il avait fondé en Grèce un bureau d’économie politique et

prônait l’installation de colonies industrielles dans le pays.

La centralité de la référence grecque chez d’Eichthal s’affirme à

mesure que le séjour en Grèce s’éloigne dans le temps. Elle culmine dans

un ouvrage de 1862,

De l’usage pratique de la langue grecque,

où d’Eich-

thal après avoir observé, selon sa pratique des vastes panoramas, que le

monde moderne a eu trois éducateurs, Israël, la Grèce et Rome, propose

de faire du grec sous sa forme moderne et avec sa prononciation contem-

poraine « une langue générale appropriée à tous les besoins de l’activité

et de la pensée humaine ». Cette mesure utopique a rencontré un certain

écho chez des universitaires français du XIXe siècle, comme Émile Egger,

un des principaux hellénistes français de son temps.

Dans ces conditions, l’étude de la Grèce, l’appropriation de l’espace

culturel grec, devenait un enjeu majeur. De Chateaubriand à Renan c’est

sur l’Acropole que s’expriment les prières. Cela explique l’importance de

10. Michel

E

spagne

, « Gustave d’Eichthal et l’Allemagne. Critique biblique

ou géopolitique », in

Études saint-simoniennes

, sous la direction de Philippe

Régnier, PUL, Lyon 2002, p. 111-125.