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MICHEL ESPAGNE

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cause plusieurs notions fréquentes dans l’histoire culturelle. Il y a l’idée

d’influence qui laisse supposer une sorte de circulation spontanée d’une

source vers un récepteur et accorde dans cette dynamique la priorité à la

source d’émission plutôt qu’au contexte de réception. Il y a la notion de

comparaison qui, en opposant les traditions culturelles dans des tableaux

synoptiques pour comptabiliser les ressemblances et les différences, ne

fait qu’accentuer les identités d’ensembles nationaux dont il s’agit plu-

tôt de montrer les interactions et imbrications. Même si les affirmations

identitaires tendent mécaniquement à minimiser la part d’une mémoire

étrangère dans les différents pays d’Europe, à commencer par leurs sys-

tèmes de classements archivistiques, la redécouverte de cette mémoire

étrangère est indispensable pour suivre les étapes constitutives de cha-

cun de ces systèmes. La théorie des transferts culturels a une dimension

herméneutique, puisqu’elle insiste sur les réinterprétations. Elle a en

même temps une dimension de sociologie culturelle, car la circulation des

objets, livres, doctrines ou formes esthétiques ne s’explique pas sans une

intervention de médiateurs. On pense évidemment aux voyageurs, aux

négociants, aux traducteurs, aux maîtres de langue, à tous ceux dont la

fonction consiste à déplacer dans l’espace des objets ou des idées. Une his-

toire de ces médiateurs devrait être écrite ou précisée dans la plupart des

pays d’Europe, et bien sûr pas seulement d’Europe. La théorie des trans-

ferts oblige à privilégier dans l’histoire les articulations entre les espaces.

Elle modifie par là les sciences humaines elles-mêmes qui se structurent

trop souvent dans des cadres nationaux. Pourquoi faudrait-il continuer à

écrire, selon les critères du XIXe siècle, des histoires littéraires nationales

alors que l’évolution des formes ou la genèse des œuvres ne s’expliquent

que par le fonctionnement de réseaux transnationaux ? Si la théorie des

transferts culturels permet d’éclairer de façon nouvelle les interactions

et les phénomènes de constitution réciproque entre espaces nationaux,

il ne faut pas négliger une dimension diachronique qui permettra, par

exemple, d’étudier l’utilisation de l’Antiquité opérée au XIXe siècle, ou la

présence de l’Antiquité dans la Renaissance. Enfin, il est intéressant d’ob-

server que l’Antiquité elle-même a fait l’objet de reconstructions natio-

nales, notamment au XIXe siècle, mais que la Rome ou la Grèce antique

étaient des espaces largement métissés et que les cités antiques de la côte

W

erner

, Éditions Recherche sur les Civilisations, Paris 1988 ; M.

E

spagne

,

Les

transferts culturels franco-allemands

, PUF, Paris 1999.