MICHEL ESPAGNE
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se rattachent au processus de la traduction, il faudrait s’interroger sur
les enseignements de la littérature et plus largement de l’histoire intel-
lectuelle française qui préparent les choix auxquels procèderont les tra-
ducteurs. L’insertion d’un texte français dans chacun de ces contextes
ne peut que lui donner un sens propre, différent de celui qu’il avait dans
son contexte initial et dont toute étude des traductions, bien au-delà de
l’étude des données purement linguistiques, se devrait de rendre compte.
Les livres et notamment les traductions sont des objets, des marchan-
dises, ils ont des caractéristiques esthétiques parfaitement indépendantes
de leur contenu. La question des livres français en Grèce a provoqué
dans la durée une étude des fonds de bibliothèques privés ou publics
et de leur mode de constitution, de la place spécifique qu’y tiennent les
livres français par rapport par exemple aux livres allemands ou anglais ou
italiens. Une fois traduit, le livre reste un objet qui a son prix mais aussi
sa couverture et ses illustrations, son mode de diffusion. Ce sont en géné-
ral des maisons d’édition bien établies et bien définies qui acceptent de
s’engager dans le surcoût d’une traduction, et si l’insertion dans un nou-
veau contexte donne aussi un nouveau sens aux livres qu’elles publient,
ce nouveau sens est lui-même lié à l’effet de série, à la juxtaposition des
titres parus dans une même collection. Ferait ensuite partie de ces don-
nées matérielles une histoire de la lecture en Grèce : qui lit des œuvres
françaises traduites et dans quelles conditions ? Existe-t-il au XIXe siècle
un système de bibliothèques de prêt ? Quelle est la part scolaire et la part
récréative dans ces lectures ? Pour une partie des lecteurs, ceux qui ont
bénéficié d’une formation universitaire dans le domaine des lettres fran-
çaises, la traduction était certainement inutile. Son apparition implique-
t-elle un moindre apprentissage du français ou la volonté d’enrichir la
langue grecque d’une littérature importée ? S’agit-il d’une traduction par
défaut ou d’une traduction à visée créatrice ? Il est vrai qu’en Grèce
existent depuis longtemps des études importantes et plusieurs projets
de recherche traitant ces questions. Cependant, c’est la reprise globale et
comparée de ces études sous l’éclairage des transferts culturels qui reste
encore à faire.
On peut dire par exemple que toute traduction grecque de Schiller
ou de Hölderlin –malgré une réception hésitante,
26
il existe soixante dix
26. Christoph W.
C
lairmont
, « Hölderlin-Rezeption bei den Neugriechen.
Hölderlins Übersetzungen », in :
Hölderlin-Jahrbuch
94-95, p. 89-102.