MICHEL ESPAGNE
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jusqu’à Georges Séféris étudiant à Paris. Cette pénétration de modèles
étrangers est peut-être plus grande en Grèce que dans aucun autre pays
européen. On pourrait supposer que cette référence à l’étranger s’affai-
blit quand on touche aux productions écrites les plus populaires, mais ce
n’est pas le cas. Un texte aussi peu suspect de sacrifier à une rhétorique
convenue que celui des
Mémoires
du Général Macriyannis,
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dont Séféris
appréciait tant les qualités linguistiques, est l’œuvre d’un analphabète
qui aurait appris à écrire de façon phonétique pour pouvoir noter les épi-
sodes décisifs de l’histoire de la libération de la Grèce auxquels il avait
été mêlé. Mais le patriotisme spontané de Macriyannis se déploie dans un
espace philhellène parcouru par les Turcs, les Albanais, les Français, les
Anglais, sans oublier les Bavarois contre lesquels le général va engager
un complot visant à imposer une constitution. La référence aux étran-
gers, Turcs ou philhellènes pour ne pas parler des divers éléments de la
diaspora historique comme les Phanariotes fait des mémoires patriotiques
du général une contribution à l’histoire de la Grèce en Europe, comme si
le général analphabète avait décidé d’incarner l’obsession philhellène de
l’Europe et l’esthétique pittoresque des klephtes et des pallikares.
Sans doute conviendrait-il d’établir une périodisation dans les réfé-
rences étrangères de la littérature grecque. Il semble qu’au XXe siècle les
étudiants grecs devenus plus tard des écrivains se soient particulièrement
tournés vers la France. C’est tout particulièrement le cas pour les philo-
sophes de Kostas Axelos à Cornélius Castoriadis,
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même s’ils ont apporté
en France une étonnante familiarité avec la philosophie allemande dont
ils ont aussi été des introducteurs. Au XIXe siècle en revanche, durant la
seconde partie du siècle, c’est plutôt vers l’Allemagne que se sont tour-
nés les Grecs. Prenons le poète Lorentzos Mavilis.
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Parti en Allemagne
en 1878, il n’y séjourna pas moins de 12 ans, s’initiant à Kant, Fichte et
Schopenhauer et fréquentant de nombreuses universités avant de deve-
nir docteur à Erlangen en 1890. Il a traduit Gœthe, Schiller, Uhland. Des
femmes allemandes aux cheveux d’or hantent ses sonnets. On y trouve
des réminiscences de Fribourg, des poèmes aux servantes de brasseries
27. Général
M
acriyannis
,
Mémoires
, traduit par Denis Kohler, Albin Michel,
Paris 1986.
28. Servanne
J
ollivet
,
Destins d’exilés. Trois philosophes grecs à Paris : Kos-
tas Axelos, Cornelius Castoriadis, Kostas Papaïoannou
, Manuscrit, Paris 2011.
29. Lorenzos
M
avilis
,
Les sonnets
, Epsilon, Athènes 2011.